L
e s .. c h e f s ..
d ' o r c h e s t r e
|
La direction d'orchestre
I.
ORIGINE
On sait que, dès l’Antiquité, les chœurs sont
dirigés par l’un des chanteurs qui marque les mouvements de la mélodie avec
la main, tandis que le coryphée scande la mesure du texte avec ses pieds chaussés
de bois ou de fer. Au Moyen âge, les chefs de chœur, pour se distinguer, tiennent
un bâton, signe de leur fonction, dans la main gauche tandis qu’ils marquent
les temps de la droite. L’un d’entre eux a un jour l’idée de battre la mesure
avec ce bâton, afin de rendre la battue plus claire, mais on utilise aussi
un parchemin roulé, ou même une canne.
À la fin de la Renaissance, le chef dirige avec
la partie de basse continue, clavecin et violoncelle, qui donne les départs
et la ligne fondamentale. C’est pourquoi, dans l’opéra, le claveciniste dirige
en général les chanteurs de son clavier, le premier violon s’occupant de l’orchestre
; les méthodes de continuo au clavecin donnent d’ailleurs des indications
sur la façon dont il faut battre la mesure. Souvent, les opéras qui passent
commande à des compositeurs les obligent par contrat à assurer les répétitions
et à diriger les trois première représentations, de façon que l’orchestre
puisse ensuite jouer seul. En France, la complexité des spectacles de l’opéra,
à l’orchestre et aux chœurs fournis, où les ballets abondent, oblige le chef
d’orchestre de l’Opéra de Paris à diriger les représentations plus ou moins
bruyamment avec un bâton, sur le modèle de Jean-Baptiste Lully (1632-1687),
qui meurt d’ailleurs des suites d’un coup de canne donné sur le pied lors
d’une répétition houleuse. Jean-Baptiste Rey (1734-1810) est le dernier
chef de l’Opéra à utiliser une canne pour diriger.
À la période classique, l’importance du continuo
décline peu à peu et les cordes occupent une place accrue dans l’orchestre.
C’est alors au premier violon que revient de donner les indications essentielles
de tempo et de phrasés tout en jouant, sur le modèle italien, le clavecin
– puis piano – continuo se voyant relégué au remplissage harmonique avant
de disparaître au début du XIXe siècle. Cependant, la complexification de
l’écriture et le nombre toujours croissant d’exécutants – on passe d’une douzaine
à l’époque de Bach à près de quatre-vingts à la fin de la vie de Mozart –
obligent de plus en plus souvent le premier violon à donner les indications
avec son archet sans jouer. Ainsi François Habeneck (1781-1849), l’un
des premiers chefs français, fondateur de la Société des Concerts du Conservatoire
en 1828, dirigeait avec un archet, de sa place de premier violon.
II. APPARITION DU CHEF D’ORCHESTRE
À partir du XIXe siècle, la présence d’un chef
faisant répéter ses musiciens, leur donnant les départs de façon claire et
garantissant l’homogénéité de l’interprétation, est rendue obligatoire par
la difficulté toujours plus grande de la musique et la variété du répertoire
symphonique. Louis Spohr (1784-1859), puis Carl Maria von Weber
(1786-1826) et Felix Mendelssohn (1809-1847) sont ainsi les premiers
chefs à diriger les musiciens avec une baguette ou un archet face à
l’orchestre et non plus aux spectateurs, au grand étonnement des orchestres
et des auditeurs, plutôt déroutés et fortement réticents devant cette pratique
indécente, qui fait tourner si impoliment le dos au public. Certaines résistances
sont d’ailleurs longues à vaincre et il faut attendre pratiquement le milieu
du XIXe siècle pour voir, en Angleterre, premier violon et continuiste céder
leur place au chef d’orchestre.
Hector
Berlioz (1803-1869) et Richard Wagner (1813-1883) sont les premiers
compositeurs à prendre conscience de la spécificité de la tâche du chef et
à se consacrer à la direction, sans être instrumentistes. En effet, jusqu’ici,
les compositeurs étaient en général leurs propres interprètes, à la fois comme
instrumentistes et comme chefs occasionnels, sans que cela soit une garantie
de résultat, comme le prouve l’exemple de Beethoven, piètre chef avant même
de devenir sourd, ou de Schumann, qui, parfois, laissait échapper sa baguette.
Cette spécialisation les amène à une plus grande réflexion sur leur art et
à une connaissance accrue des possibilités de l’orchestre, le chef devenant
un interprète à part entière et non plus un simple coordinateur. Après eux,
les chefs s’attachent à donner une vision personnelle de l’œuvre, obligeant
à des progrès constants dans la technique de direction, de façon à obtenir
une palette d’expression de plus en plus grande.
Si la direction de Berlioz et Mendelssohn se
caractérisait par sa grande fermeté rythmique, presque rigide, Wagner, au
contraire, était à la recherche de l’expressivité maximale, dans un rubato
constant, dessinant la phrase plus qu’il ne la battait. Cette quête de l’émotion
est un trait dominant des grands héritiers de l’art romantique, chez qui l’on
trouve de grandes variations rythmiques qui amplifient l’opposition des thèmes
ou les contrastes dynamiques, de façon à rendre plus claire et plus éloquente
la construction dramatique des œuvres. Willem Mengelberg (1871-1951)
ou Wilhelm Furtwängler (1886-1954) sont parmi les plus célèbres représentants
de cette école, qui sacrifie souvent l’exactitude absolue de la lettre à l’esprit
de l’œuvre et à l’expression, quitte à réécrire certains passages pour leur
donner plus d’impact, comme Mahler l’a fait avec les symphonies de Beethoven
et de Schumann. Leopold Stokowsky (1882-1977), immense chef par ailleurs,
pousse parfois cette adaptation jusqu’au délire ; il ne faut pas oublier,
cependant, que cette conception de l’œuvre comme objet vivant que l’interprète
doit s’approprier, typique du Romantisme, nous a valu des enregistrements
qui, aujourd’hui encore, font référence.
III. L’ÈRE MODERNE
La maîtrise toujours plus approfondie de l’écriture
orchestrale et la qualité sans cesse croissante des exécutions amènent les
compositeurs à définir de nouvelles exigences de mise en place et de précision
rythmique. La musique du XXe siècle conduit donc, fort logiquement, à une
conception plus rigoureuse du tempo et un respect plus grand d’une orchestration
très millimétrée. La personnalité du chef d’orchestre devient alors primordiale
dans la réussite d’un concert et, créateur à part entière, sa fonction se
distingue plus profondément encore de celle de compositeur. En effet, nombre
d’interprètes de la tradition germanique, Furtwängler, Strauss, Klemperer,
Mahler, sont tout à la fois chefs et compositeurs, parfois avec un succès
inégal. Le chef moderne, de plus en plus, n’est QUE chef. Arturo Toscanini
(1867-1957) impose une qualité de finition, de précision et d’ensemble inédite
jusqu’alors qui marque les débuts de la direction moderne. Véritable démiurge,
le chef du XXe siècle égale le compositeur en importance aux yeux du public.
Toscanini, Furtwängler, Karajan, autant d’incarnations de l’Artiste, figure
charismatique et despotique, symbole de la puissance créatrice, grand-prêtre
d’une cérémonie initiatique, le concert.
L’industrie du disque assure à ces mythes vivants
une diffusion jusque là inimaginable, le nom du chef écrasant bien souvent
celui du compositeur sur la pochette, les techniques de prise de son et de
montage permettant des résultats d’une perfection inouïe et « naturellement
» impossible. Génie de la communication, Herbert von Karajan (1908-1989)
est sans doute le premier chef à comprendre tout le parti qu’il peut tirer
d’un marketing bien pensé et profite de l’expansion du commerce de
l’enregistrement pour mettre en scène sa propre légende, entraînant à sa suite
nombre de chefs plus jeunes, parfois promus stars de la baguette en l’espace
de quelques disques sans avoir encore fait leurs preuves en concert.
Mais ce mercantilisme connaît ses propres limites
et l’accroissement du niveau des musiciens, beaucoup plus critiques et organisés
qu’autrefois, comme la « jet-setisation » de chefs perdus entre deux avions,
répétant inlassablement un répertoire calibré « tous publics », fait vaciller
la dictature des chefs, rares étant ceux d’entre eux qui jouissent aujourd’hui
d’un réel prestige face aux orchestres.
IV. LES GRANDES ÉCOLES NATIONALES
Wagner, lui-même très influencé par le chef
d’orchestre français François Habeneck, a été l’une des premières stars
de la baguette. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’école germanique de direction
soit sans doute la première au monde. Ses représentants fameux sont innombrables,
le schéma ci-dessous donne une idée des filiations pour quelques-uns des plus
célèbres. Tous ces chefs ont en commun une grande rigueur de la conception
musicale, l’œuvre étant vue plus comme l’expression d’une pensée quasi-philosophique
que comme un pur objet sonore, même si l’on peut aisément distinguer deux
courants principaux. D’un côté, les successeurs de Wagner, Arthur Nikisch
(1855-1922), Wilhelm Furtwängler (1886-1954), Hans Knappertsbusch
(1888-1965) ou le Néerlandais Willem Mengelberg (1871-1951), pour lesquels
l’expression conditionne une approche très subjective et parfois expressionniste
des œuvres ; de l’autre, à la suite de Felix Weingartner (1863-1942),
immense chef hélas un peu oublié, des musiciens qui se distinguent par la
clarté et la rigueur d’un discours plus « moderniste », Carl Schuricht
(1880-1967), Fritz Busch (1890-1951), Otto Klemperer (1885-1973)
ou Erich Kleiber (1890-1956).
Il
est intéressant de noter que les chefs autrichiens se reconnaissent assez
nettement par une direction tout aussi rigoureuse mais souvent plus souple,
où l’expression se teinte d’une dimension humaine plus chaleureuse, comme
Bruno Walter (1876-1962), Karl Böhm (1894-1981) ou Josef
Krips (1902-1974).
L’Europe centrale, et notamment la Hongrie,
a fourni un grands nombre de chefs célèbres qui émigrent au Etats-Unis au
moment de la guerre et contribuent à forger le style « américain » : Fritz
Reiner (1888-1963) à Cincinnati, Pittsburgh puis Chicago, Eugene Ormandy
(1899-1985) à Minneapolis puis Philadelphie, George Szell (1897-1970)
à Cleveland, Antal Dorati (1906-1988) à Minneapolis et Detroit, Georg
Solti (1912-1999) à Chicago. D’autres émigrent en Allemagne après guerre
: Ferenc Fricsay (1914-1963) à Berlin, Istvan Kertész (1929-1973)
à Cologne. Ces chefs, souvent élèves de Bartók ou Kodály à Budapest, sont
influencés par l’Allemagne (Szell étudie à Vienne, Reiner dirige à Dresde
pendant huit ans) tout en gardant une vigueur rythmique et une netteté d’accentuation
qui sont la marque de cette école. János Ferencsik (1907-1984), chef
de la Philharmonie nationale hongroise, fut également un grand chef et un
grand pédagogue.
L’école tchèque reste marquée par la personnalité
de Václav Talich (1883-1961), élève de Nikisch, lui-même élève de Wagner,
qui enseigne à son tour à Karel Ančerl (1908-1973) et Václav
Neumann (1920-1995), ses successeurs à la tête de la Philharmonie tchèque.
On peut aussi citer Rafael Kubelík (1914-1996), remarquable musicien
qui dirigea la Philharmonie tchèque de 1941 à 1948 avant d’émigrer aux Etats-Unis
(Chicago), en Angleterre (Covent Garden), puis en Allemagne, où il dirigea
pendant dix-huit ans l’Orchestre de la Radiodiffusion bavaroise. Inimitables
dans leur musique nationale, à laquelle ils apportent une fraîcheur et une
vigueur rythmique inapprochables, les chefs tchèques sont également de grands
interprètes du répertoire germanique, voir, par exemple, les réussites de
Ančerl, Kubelík et Neumann dans Mahler.
L’école russe fut très prolifique, marquée par
de grandes personnalités qui forgèrent un style profondément slave. Le compositeur
Nikolaï Tcherepnine (1873-1945) compte parmi ses élèves Alexandre
Melik-Pachaiev (1905-1964), chef du Bolchoï, et Alexandre Gaouk
(1893-1963), chef de l’Orchestre de la Radio-Télévision d’URSS, lui-même professeur
d’Evgeny Mravinsky (1903-1988), chef intraitable de l’Orchestre philharmonique
de Leningrad pendant cinquante ans, d’Evgeny Svetlanov (1928-2002),
directeur de l’Orchestre d’Etat d’URSS pendant plus de trente ans, et de Kirill
Kondrachine (1914-1981), chef du Bolchoï puis de l’Orchestre philharmonique
de Moscou. Immigré aux Etats-Unis, où il dirige l’Orchestre symphonique de
Boston durant vingt-cinq ans, le chef et mécène Sergei Koussevitzky
(1874-1951) a joué un rôle déterminant dans la musique du XXe siècle, peu
d’interprètes ayant suscité autant de créations que lui : Bartók, Bernstein,
Britten, Honegger, Martinů, Messiaen, Prokofiev, Ravel, Roussel, Scriabine,
Stravinski, la liste des compositeurs qui ont bénéficié de ses commandes est
impressionnante. Fondateur du Berkshire Music Center à Tanglewood, il est
aussi un pédagogue réputé.
Mais c’est surtout à Nikolaï Golovanov
(1891-1953), modèle avoué d’Evgeny Svetlanov, que l’on doit la fondation du
« son russe » si typique, riche et profond, car s’appuyant sur au moins dix
contrebasses, cherchant les contrastes les plus abrupts et les nuances les
plus foudroyantes, dans un style hyperexpressif parfois jusqu’à la violence,
ce qui peut donner de curieux résultats dans le répertoire non russe, comme
en témoignent ses enregistrements « spéciaux » de Wagner.
On peut aussi citer Gennadi Rojdestvenski
(1931), chef de l’Orchestre symphonique du Ministère de la culture d’URSS,
grand défenseur de la musique contemporaine ou, plus récemment, Valery
Gergiev (1953), chef du Kirov et dernier vrai représentant de cette école
semble-t-il en voie d’extinction.
L’école française est d’abord représentée par
des interprètes-compositeurs, André Messager (1853-1929), élève de
Fauré, Gabriel Pierné (1863-1937), élève de Massenet et Franck, qui
fondent une tradition interprétative opposée à l’école allemande. La génération
suivante, Philippe Gaubert (1879-1941), successeur de Messager aux
Concerts du Conservatoire puis à l’Opéra, Désiré Emile Inghelbrecht
(1880-1965), ami de Debussy, Albert Wolff (1884-1970), successeur de
Messager à l’Opéra-Comique, Paul Paray (1886-1979), également compositeur,
Piero Coppola (1888-1971) d’origine italienne, directeur artistique
chez Grammophone, défendent avant tout la musique française de leur temps
et créent un style ennemi de toute emphase, très reconnaissable par son élégance
et sa clarté. Pierre Monteux (1875-1964), grand créateur d’œuvres de
Stravinski, et Charles Münch (1891-1968) sont les seuls à faire une
véritable carrière internationale aux Etats-Unis (avec, dans une moindre mesure,
Paray) et ailleurs, mais leur style est moins facile à enfermer dans une école,
le premier parce qu’il a dirigé de très nombreux orchestres étrangers (il
a été naturalisé américain en 1942), le second car sa culture est très germanique
(premier chef de l’Orchestre de Paris, il meurt également aux Etats-Unis,
où il a pris la suite de Koussevitzky, durant quatorze ans, à l’Orchestre
symphonique de Boston, et fut, avant d’être chef, instrumentiste à Leipzig
sous la direction de Walter et Furtwängler). Le Belge naturalisé français
André Cluytens (1905-1967) a été également un grand chef, mais il mourut
au début de sa carrière internationale (il a été le premier chef à enregistrer
une intégrale des symphonies de Beethoven avec la Philharmonie de Berlin en
stéréo, et commençait à diriger à Bayreuth). Son élève Georges Prêtre
(1924) mène également une belle carrière internationale. Le Suisse Ernest
Ansermet (1883-1969), l’autre grand interprète-créateur de Stravinski
mais aussi Falla et fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, est un
très grand représentant de ce courant, par ses interprétations toujours idéalement
claires et équilibrées.
Si l’Europe du Sud semble avoir été moins prodigue
en grands chefs, il ne faut pas oublier que, quelle que soit son importance,
le nom d’Arturo Toscanini (1867-1957) ne résume pas, à lui seul, l’école
de direction italienne. Formé à la dure école de l’opéra italien, Toscanini
impose au début du siècle un style de direction totalement opposé à l’école
wagnérienne : tempos vifs, refus du rubato, sonorités orchestrales volontairement
sèches (surtout à la fin de sa vie avec l’Orchestre de la NBC, ses enregistrements
antérieurs étant moins intraitables). Ce style, s’il déplaît à certains comme
Furtwängler, et pour cause, marqua profondément toutes les nouvelles générations
de chefs, même allemands, comme Karajan qui a toujours dit avoir voulu concilier
dans ses interprétations clarté italienne et lyrisme allemand.
Mais, dans la génération immédiatement postérieure
à Toscanini, l’on rencontre également des musiciens de talents, comme Vittorio
Gui (1885-1975), son assistant à la Scala, ou Tullio Serafin (1878-1968),
le « découvreur » de Maria Callas. Surtout, Victor de Sabata (1892-1967),
successeur de Toscanini à la Scala, domine de très haut la génération de l’après-Toscanini
par la clarté et l’intransigeance de ses interprétations, hélas rarement reportées
en disques. Mais, dans un pays dominé par le monde lyrique, où tous les orchestres
sont des orchestres de fosse, les grands chefs d’orchestre trouvent peu à
s’affirmer dans le répertoire symphonique. C’est pourquoi les grandes figures
des générations plus actuelles, Carlo Maria Giulini (1914), Claudio
Abbado (1933), Riccardo Muti (1941) ou Riccardo Chailly
(1953), ont choisi de s’expatrier. Malheureusement, celui qui aurait été sans
doute le plus grand d’entre eux, Guido Cantelli (1920-1956), poulain
et protégé de Toscanini, meurt dans un accident d’avion sans avoir encore
pleinement affirmé son immense talent.
De même, la tradition symphonique espagnole
est de fraîche date. Enrique Arbós (1863-1939) est l'un des tous premiers
chefs espagnols a acquérir une certaine notoriété. Violoniste, élève de Vieuxtemps
et Joachim, il fait ses études musicales à Bruxelles et Berlin avant d'être
nommé violon solo de l'Orchestre philharmonique de Berlin, puis de Boston.
Il se tourne ensuite vers la direction d'orchestre et fonde en 1903 l'Orchestre
symphonique de Madrid qu'il dirige jusqu'a la Guerre civile (1936). Enrique
Jordá (1911-1996), élève de Le Flem et Rühlmann, lui succède en 1940 avant
de devenir directeur de l'Orchestre symphonique de San Francisco de 1954 à
1963, puis de la Philharmonie d'Anvers. Les autres orchestres espagnols sont
de formation plus récente, comme l'Orchestre national d'Espagne, fondé en
1940 par Bartolomé Pérez Casas, ou l'Orchestre symphonique de la Radio-Télévision
espagnole, dont le premier chef est en 1965 le franco-russe Igor Markevitch
(1912-1983).
Le plus célèbre chef espagnol, ou tout du moins
celui qui aurait dû l'être, est sans conteste Ataúlfo Argenta (1913-1958),
pianiste virtuose, élève de Carl Schuricht à Kassel, fondateur en 1944 de
l'Orchestre de chambre de Madrid et chef permanent à partir de 1947 de l'Orchestre
national d'Espagne, qui décède prématurément, à l’âge de quarante-cinq ans.
Mélange de rigueur et d'impétuosité, son style très reconnaissable, toujours
clair et incisif, parfois abrupt, a heureusement été documenté dans des enregistrements
remarquables.
Dans
les générations plus récentes, les noms les plus connus sont ceux de Rafael
Frühbeck de Burgos (1933) élève de Kurt Eichhorn à Kassel, qui connaît
une brillante carrière internationale, à Bilbao et Madrid d'abord, puis à
Düsseldorf, Montréal et Vienne enfin (Orchestre symphonique) ; Antoni Ros
Marbá (1937), élève de Celibidache et Jean Martinon, et Jesús López
Cobos (1940), directeur de la Deutsche Oper de Berlin de 1981 à 1990,
chef de l'Orchestre de Cincinnati depuis 1987 et de l'Orchestre de chambre
de Lausanne depuis 1990.
Pour finir avec les écoles de direction latines
et méditerranéennes, on peut enfin citer deux noms importants, le démiurge
grec Dimitri Mitropoulos (1896-1960), bouillant directeur de l’Orchestre
symphonique de Minneapolis, puis de la Philharmonie de New York, et le gourou
roumain Sergiu Celibidache (1912-1996).
Même si l’Angleterre semble avoir mis longtemps
à s’habituer à la mode du chef d’orchestre, la qualité de ses orchestres s’est
accompagnée d’une floraison de grands noms : Thomas Beecham (1879-1961),
autodidacte plein d’humour et chef enthousiaste, grand défenseur de la musique
anglaise mais aussi de Sibelius et de la musique française ; le fougueux John
Barbirolli (1899-1970), très grand interprète de Sibelius également, mais
aussi de Mahler, comme le prouvent ses enregistrement légendaires des Cinquième
et Neuvième symphonies ; Adrian Boult (1889-1983), élève de
Reger à Leipzig, également grand créateur d’œuvres de compositeurs anglais,
Bliss, Holst, Tippett ou Vaughan Williams, dont il a réalisé une mémorable
intégrale des symphonies ; Malcolm Sargent (1895-1967), animateur pendant
vingt ans des célèbres « Proms » ; Leopold Stokowsky (1882-1977), le
pote à Mickey, peut-être le plus important propagateur de la musique du XXe
siècle, avec plus de 2 000 créations à son actif ; enfin, plus proches de
nous, Colin Davis (1927) et Simon Rattle (1955) parmi tant d’autres.
On ne peut véritablement parler, pour l'instant
en tout cas, d'école américaine. On l’a vu, les grands chefs « américains
» du passé étaient tous européens et la plupart des chefs contemporains le
sont d’origine ou de formation. Ainsi, le plus célèbre d’entre eux, le bouillant
Leonard Bernstein (1918-1990), fils d’émigrés russes, reçoit l’enseignement
de Sergei Koussevitzky et Fritz Reiner avant de former à son tour quantité
d’élèves. Celui en qui beaucoup voient son successeur, Michael Tilson Thomas
(1944), étudie à Bayreuth, James Levine (1943) célèbre directeur du
Metropolitan Opera avec George Szell... D’autre part, quel que soit le talent
de ces très grands musiciens, on ne peut trouver chez eux de véritable unité
de style ou de répertoire.
La Finlande semble être l’une des plus dynamiques
pépinières de talent actuelles, grâce à l’excellence de l’enseignement musical,
attestée par le nombre important d’orchestres de jeunes et la qualité des
sept formations symphoniques professionnelles. C’est le chef et compositeur
Robert Kajanus (1856-1933), élève de Reinecke et Hans Richter à Berlin,
qui fonde en 1882 le premier orchestre finlandais, baptisé Société orchestrale
d’Helsinki, avant de devenir en 1919 l’Orchestre philharmonique d’Helsinki.
La même année, est fondé un Conservatoire, rebaptisé Académie Sibelius, qui
est devenu depuis le troisième d’Europe. En sortiront des chefs de la trempe
de Paavo Berglund (1929), Leif Segerstam (1944) ou Okko Kamu
(1946), mais c’est surtout leur condisciple Jorma Panula (1930) qui exerça
la plus grande influence sur la génération actuelle. En effet, professeur
à l’Académie Sibelius jusqu’en 1993, il eut comme élèves Osmo Vänskä
(1953), dont chaque nouvel enregistrement de Sibelius fait sensation, Jukka-Pekka
Saraste (1956), Esa-Pekka Salonen (1958), la star de l’Orchestre
philharmonique de Los Angeles, et Sakari Oramo (1965), qui fit sensation
en remplaçant Simon Rattle comme directeur de l’Orchestre symphonique de la
ville de Birmingham en 1998. Ces chefs ont en commun l’acuité et la rigueur
de leur conception musicale, un style vif et coloré, un attachement très marqué
pour leur répertoire national et, surtout, un goût prononcé pour le répertoire
du XXe siècle qu’ils s’attachent à faire découvrir en concert comme au disque.
V. LE CHEF ET SON ORCHESTRE
De la fin du XIXe et jusqu’à peu près la moitié
du XXe, les grands chefs doivent leur célébrité à leur identification avec
un son d’orchestre particulier, car il était courant que le même chef reste
très longtemps à la tête du même orchestre et le façonne selon ses désirs,
au point qu’on les associe l’un à l’autre (Furtwängler ou Karajan et Berlin,
Mengelberg et Amsterdam, Stokowsky ou Ormandy et Philadelphie, Mravinsky et
Leningrad, Ansermet et la Suisse romande). Mais, à partir de la seconde moitié
du XXe, rares sont les chefs à avoir un poste complet à la tête d’un orchestre
et les sonorités d’orchestre ont tendance à perdre leur particularités, surtout
du fait de l’importance accrue de l’enregistrement qui, de par ses propres
contraintes, a tendance à uniformiser les styles nationaux de façon à produire
un son standardisé plus facile à reproduire.
Ces différences de couleurs sont également souvent
liées à des écoles instrumentales particulières et à des différences dans
la facture des instruments (différence entre les clarinettes françaises et
allemandes par exemple), que l’internationalisation de l’enseignement et l’industrialisation
de la facture instrumentale ont gommées. Il est intéressant de constater qu’un
orchestre très attaché à sa tradition comme la Philharmonie de Vienne possède
ses propres instruments, quitte à ce qu’ils ne correspondent plus à la facture
actuelle (hautbois), et n’engage que d’anciens élèves de musiciens de l’orchestre,
afin de préserver toujours un son typique.
On peut, grossièrement, définir quelques traits
caractéristiques des écoles nationales que l’on retrouve dans la plupart des
enregistrements jusque vers les années 1970, sachant que ces différences sont
de moins en moins audibles avec le temps.
BIBLIOGRAPHIE
La collection « Pluriel » de Hachette recèle
trois ouvrages indispensables sur la direction d’orchestre :
- Liste des chefs d'orchestre -
Chefs d'orchestre du XIXe siècle